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Cinémathèque de Tanger

CINÉMA AU MAROC – TRIBUNE DE KARIM ADDOUL

CINÉMA AU MAROC - TRIBUNE DE KARIM ADDOUL

À l’occasion d’une conférence que nous avions accueilli à la cinémathèque en fin 2019, Karim Addoul nous avait enchanté par la lecture d’un texte rédigé par ses soins. Le texte est ci-dessous retracé.

Je commencerai tout d’abord par le titre même de cette conférence : “Où en est la création cinématographique au Maroc ? La parole est aux jeunes réalisateurs.”
Malheureusement, je ne suis ni jeune ni réalisateur, mais nous avons le bonheur d’avoir parmi nous aujourd’hui trois représentants de cette tranche d’âge et de cet art, qui j’en suis sûr sauront mieux que moi, répondre à cette question.On pourrait évidemment se demander qui sont ces jeunes réalisateurs ? Qu’est ce qui a bien pu les amener à ce métier, à cet art, car s’en est bien un, qui a su naître malgré le carcan de l’industriel auquel il est indissociable ?

J’ai moi même grandi à une époque où les images n’étaient pas encore aussi envahissantes qu’elles le sont actuellement, on se contentait de celles qui illustraient les livres, les bandes dessinées, les magazines qu’on achetait chez les bouquinistes pour quelques sous durement gagnés…
Il y avait bien sûr la télévision et le cinéma. Durant ma jeunesse, dans les années 70 les marocains allaient au cinéma qui leur offrait leur dose de divertissement et d’évasion…Les jeunes s’émerveillaient en matinée en vivant sur grand écran les aventures des “Robinsons des mers du sud”, tremblaient de tous leurs os au rugissement du féroce Shere Khan ou riaient aux éclats devant les batailles de tartes à la crème des slapsticks. Chaplin et Disney étaient rois. Les moins jeunes faisaient la file devant les cinémas de quartiers pour voir un Bruce Lee, un western spaghetti ou un film d’aventures exotiques ou érotique. C’est l’action, les fantasmes qui les attiraient, le reste c’était de la parlote…

Il y avait parmi la multitude, des spectateurs qui tombaient au gré de leur pérégrinations, sur un film “différent” un de ceux qui provoquent en vous une onde de choc et qui laisse une marque indélébile au plus profond de votre âme.
Un “Vol au dessus d’un nid de coucou” d’où vous ne sortez pas indemne, un “Empereur du nord” dont la violence jaillit de la misère sociale, un “Josey Wales hors la loi” qui vous fait découvrir un Clint Eastwood acteur/et réalisateur….Bref des films qui vous obligent à reconsidérer l’affiche en sortant, qui vous poussent pour la première fois à lire les noms en bas de l’affiche : réalisé par Milos Forman, Robert Aldrich, John Huston, Alfred Hitchcock. Les acteurs aussi avait un nom, non plus celui des personnages qu’ils incarnaient (Django, hama9a, el 3ayel d’riwaya….) mais leur “vrai” patronyme : Clint Eastwood, Jack Nicholson, Lee Marvin, Charles Bronson, Marcello Mastroianni, Henry Fonda…À l’époque nous jouions aux durs, on ne retenait que les noms d’acteurs ; mais la belle Claudia Cardinale, la sulfureuse Raquel Welsh hantaient nos nuits….

La télévision quant à elle, avec son petit carré en noir et blanc, se contentait de meubler le silence. Le divertissement qu’elle offrait n’était qu’un adjuvant qui attisait notre envie d’aller à la rencontre d’un autre monde, ou tout simplement à la rencontre de l’Autre sur l’immense écran de nos rêves en Technicolor. La télé est une intruse qui vient squatter votre salon pour vous inoculer des images à votre insu, ou malgré vous. Au cinéma on choisissait, on quittait le quotidien avec ses odeurs de cuisine et ses objets familiers pour entrer dans une autre dimension, dans l’enchantement…
Je ne voudrais pas être ingrat envers cette boîte à images, car elle nous  réservait parfois de belles surprises en diffusant quelques classiques du 7ème art; c’est la télévision marocaine qui me fit découvrir le grand Billy Wilder en passant “Boulevard du crépuscule”, film qu’on ne pouvait voir à mon  époque que grâce à la télé, la cassette et le dvd n’étant pas encore accessibles dans notre pays.
Je me dois encore de signaler quelques émissions de grande qualité comme celle de Noureddine Saïl qui nous ont appris qu’on pouvait parler de cinéma de manière savante…
Les tangérois et les tétouanais étaient encore plus vernis en matière de films et d’émissions cinématographiques, comme celle qu’animait Jose-Luis Garci sur la deuxième chaîne espagnole (Que grande es el cine).
Voilà donc le terroir  dans lequel ont grandi les cinéastes de ma génération, des noms aussi prestigieux que Nabil Ayouch, Nourre-dine Lakhmari, Mohamed Mouftakir, Faouzi Bensaïdi…Des réalisateurs qui se sont abreuvés à la source des grands classiques, à un cinéma contestataire, tel qu’il se faisait durant les années 70, des réalisateurs cinéphages et cinéphiles qui ont su nous communiquer leur passion à travers leur art.

…Et le numérique fut! Une profusion d’images,  nous envahi de toutes parts. Le cinéma agonise, les salles ferment, personne n’y croit plus vraiment. Les jeunes marocains ne lisent plus, ne vont plus au cinéma, ils ont leur petit écran à portée de main, où ils peuvent télécharger et charcuter toutes sortes de films. C’est la grande confusion déjà initiée par la télévision, le câble. La passion, le discernement, ont laissé la place à un chaos indescriptible où se mêlent la facilité et un certain autisme…
Ce plaisir du partage si jouissif que nous avions connu dans les salles obscures n’est plus qu’une dilapidation d’énergie stérile.
C’est donc dans ce contexte là que nos jeunes cinéastes se débattent aujourd’hui. Comment faire pour éviter de tomber dans les imitations et les clichés les plus éculés, comment faire preuve d’imagination et de créativité quand on est matraqué quotidiennement par un flot incessant d’images de tout acabit ?

En tant qu’enseignant, j’ai vécu une expérience très enrichissante avec mes étudiants du deuxième cycle secondaire ; en effet La cinémathèque de Tanger avec la collaboration de la direction provinciale de l’enseignement et de l’éducation a initié une activité intitulée “lycéens au cinéma ” qui permet à nos apprenants de quitter l’enceinte scolaire pour aller voir un film dans les conditions optimales que leur offre la salle obscure de la cinémathèque. Au programme, trois films, l’un appartenant au patrimoine du cinéma mondial, le second sera un film moderne de genre et le troisième aura un rapport avec le cinéma arabo-musulman. Les projections seront suivies de débats avec nos cinéphiles en herbe et les animateurs.
Si les premières projections ont été un peu bruyantes, entrecoupées de rires nerveux et de sifflements, le tout éclairé par les faisceaux lumineux des téléphones portables, force est de constater et à notre grand plaisir, que l’intérêt grandissait de films en films, les discussions s’enflammaient et la demande s’accroissait…
On ne peut donc que saluer ce genre d’initiative et espérer qu’elle puisse durer dans le temps malgré quelques difficultés administratives; car en vérité c’est dans ce genre d’activité que réside l’avenir de la cinéphilie au Maroc.